vendredi 28 août 2020

Impossible, Erri De Luca

 


Impossible, Erri De Luca (Gallimard, 08/2020)

💚💚💚

C’est le premier roman que je lis de cet auteur et je comprends pourquoi celui-ci est tant renommé dans l’univers de la littérature européenne contemporaine. Avec un style fluide, il parvient à nous emmener, grâce à un vocabulaire élaboré et judicieux, dans des réflexions profondes, ici sur le thème de la trahison, mais aussi, paradoxalement, de l’entraide et de la camaraderie politique.

 

« Impossible c'est la définition d'un événement jusqu'au moment où il se produit. » L’événement autour duquel tourne le récit est la chute dans le vide d’un homme qui se promenait en montagne. Derrière lui, un autre alpiniste donne l’alerte. Or un lien ancien lie les deux hommes : le premier a jadis dénoncé le deuxième et l’a, de ce fait, envoyé en prison.

 

Le récit s’ouvre donc sur l’audition de l’alpiniste (dont on ne connaîtra jamais le nom) par un magistrat persuadé que la chute est en fait un assassinat déguisé. Mais l’accusé est catégorique : il est innocent.

 

Le lecteur va donc suivre les auditions successives, durant lesquelles l’accusé va pousser le magistrat à réfléchir sur ce qu’est d’appartenir à un groupe d’idéologistes (communiste notamment), sur l’engagement pour une cause, mais aussi sur ce que représente l’amitié. Entre deux rendez- vous, le narrateur, de nouveau incarcéré, donne à lire les lettres qu’il écrit (mais n’envoie pas) à celle qu’il aime. On y retrouve cette vision des choses toute particulière : « L'élégance n'est pas dans la garde- robe, mais dans les attentions de deux êtres qui vivent ensemble. »

 

Au final, c’est un roman court mais intense. Par contre, j’ai regretté que la forme s’apparente plus à un essai qu’à un véritable roman : aucune action n’est véritablement narrée. Il s’agit vraiment davantage d’un écrit de réflexion. Certains risquent de s’y ennuyer.

mercredi 26 août 2020

L'embaumeur de Montmartre, Fleur Hana


L'embaumeur de Montmartre,
Fleur Hana (Editions Mxm Bookmark, 2019)


💛💛 


Ce roman me faisait de l’œil depuis un moment. En effet, il se déroule lors d’une période et dans des lieux que j’apprécie énormément dans la littérature : la Belle Epoque au cœur de Montmartre. J’adore le foisonnement artistique que l’on y trouve autour de l’événement de l’Exposition universelle de 1889, les intrigues autour du Moulin Rouge et les changements liés aux grands débuts de l’industrialisation.

 

L’auteure emmène donc son lecteur aux côtés d’une journaliste féministe avant l’heure. Rosaline souffre effectivement de ne pas pouvoir vivre comme un homme : elle résiste en remontant ses jupes pour se déplacer à bicyclette, fume des roulées, et exerce le métier de journaliste alors que le travail est réservé aux hommes.

 

Voilà qu’un jour, un étrange détective anglais débarque dan son univers. Lord Spencer Fitzwilliam est dépêché sur place par l’agence britannique ROSE, gérée par sa propre mère, pour tenter de résoudre la mort d’une danseuse de cancan du Moulin Rouge.

 

Entre ce noble anglais aux mœurs très régentées et Rosaline, plutôt libérée, il va y avoir de nombreuses étincelles. Et pourtant, seule une entente cordiale leur permettrait d’atteindre leur objectif commun : arrêter celui qui assassine les danseuses du célèbre cabaret ; lequel prononce ces mots :

« Je voudrais ne plus jamais me réveiller afin d'empêcher le jour de chasser la nuit et de réduire à néant cette vie dont seule la lune est témoin. Mais j'ouvre les yeux et découvre l'horreur de mes actes dans toute leur splendeur. Je vis de la mort. Je suis la mort. »

 

Au final, une lecture agréable, mais sans plus. Je me suis ennuyée à plusieurs reprises, regrettant les répétitions concernant le comportement des deux principaux protagonistes : il était, pour moi, inutile de répéter que le comportement de Rosaline remontant ses jupons pour enfourcher son vélo ou attraper son paquet de tabac était si choquant à l’époque ; tout comme les réactions outrées de Spencer qui en découlaient… 

dimanche 23 août 2020

Fille, Camille Laurens


Fille,
Camille Laurens (Gallimard, 08/2020)
 

💙💙💙💙


« Il y a quelques secondes, elle ou il, tout restait possible, la grammaire rêvassait toujours son paysage, à présent on t'a coupé les ailes (quoi d'autre ?), tu es plus seule que Robinson et pourtant, c'est fait, le sort en est jeté avec le placenta, Dieu, né garçon, dit-on, père d'un fils, croit-on, Dieu est un enfant qui joue aux dés : c'est une fille. »

Voilà le point de départ du dernier roman de Camille Laurens : le conditionnement lié à notre sexe de naissance. Et en tant que fille, le constat est affligeant dès le départ pour l’auteure. Née à une époque où il vaut mieux naître garçon, elle remonte le fils de ses réflexions jusqu’au point le plus ancien de sa biographie : sa propre naissance. Au fur et à mesure des pages, nous avançons dans l’Histoire du féminisme aux côtés de Laurence. En parallèle, elle lève le voile sur ces expressions qui pénalisent lourdement le sexe « faible » et avantage celui que l’on qualifie de « fort ». La règle de grammaire qui dit que « le masculin l’emporte sur le féminin » est ici on ne peut plus pointée du doigt !

 

J’attendais avec impatience ce roman car j’aime beaucoup l’écriture de Camille Laurens. Le Covid 19 en a reporté la sortie et j’ai été ravie de pouvoir enfin le lire. Pourtant j’avoue que le début m’a un peu déçue : encore un livre à la sauce « bobo parisien » qui se regarde le nombril et se plaint. Et puis, Laurence est devenue adulte, et ses drames m’ont retourné les tripes…

 

Bref, encore une fois, Camille Laurens a su me prendre par les sentiments, me faire aimer ses mots, et me serrer le cœur. Etant maman d’un Tristan, les lecteurs et lectrices comprendront mon trouble. Des pages qu’il faut prendre le temps de savourer.

jeudi 20 août 2020

Terra- Luna, Tome 1, La gardienne du bouclier, Eva Justine

 

Terra- Luna, Tome 1, La gardienne du bouclier, Eva Justine (Elixyria, 08/2020)

💜💜💜💜💜

« Alors que le monde scientifique croit la Terre formée de six continents, un septième existe pourtant depuis la nuit des temps. Composée de sept vastes contrées, Terra- Luna est dissimulée aux yeux de tous par un bouclier d'invisibilité, afin de la protéger de la folie humaine. »

Lyïs est une jeune fille née sur ce 7e continent. Sa destinée est d’être une magicienne dotée des pouvoirs nécessaires au maintien du bouclier. Mais le continent paradisiaque est menacé par une mouvance rebelle qui souhaite faire chuter le bouclier afin d’apparaître aux yeux de tous les Terriens, et surtout, d’entrer en guerre contre ces derniers, dans le but de régner sur la planète entière.

 

Afin de déjouer ce funeste plan, l’Ancienne, magicienne aux pouvoirs suprêmes, décide de protéger Lyïs en l’exilant en Europe, plus exactement à Paris, pendant deux années. Suite à un sortilège d’oubli, la jeune femme se retrouvera dans la peau d’une jeune tatoueuse sans aucun souvenir de son passé. La voilà qui mène son train de vie de manière insouciante, en compagnie de son chat Veilleur et de son voisin excentrique, mais terriblement attachant, Gus.

 

Une fois les deux années passées, des sentinelles envoyés par Terra- Luna débarquent dans sa vie et lui apprennent qu’il est grand temps pour elle de rentrer sur son continent d’origine. Lyïs va aller de découvertes en surprises en très peu de temps. Mais en écoutant son instinct pour tenter de donner sens aux informations incroyables qui lui sont délivrées sur sa véritable nature, elle va laisser la porte ouverte aux souvenirs enfouis profondément en elle et comprendre qui elle est véritablement. Cependant le retour vers les siens sera semé d’embûches : Lyïs saura-t-elle y faire face ?

 

Eva Justine a su parfaitement m’embarquer dans son univers fantaisiste. J’ai adoré l’intrigue, et surtout les personnages !!! Une mention spéciale d’ailleurs à Gus, qui m’a fait rire à plusieurs reprises grâce à ses répliques humoristiques bien trouvées ! J’aimerais tellement l’avoir comme ami !

 

Bref, j’ai hâte de replonger dans l’univers de Terra- Luna et de savoir ce que deviennent Lyïs, Louan, Abraham et… Gus ! Vivement que la suite de cette duologie paraisse !

mardi 18 août 2020

Les bras de Morphée, Yann Bécu

 


Les bras de Morphée,
Yann Bécu (Les éditions de l'Homme Sans Nom, 10/2018)

💙💙💙💙

2070. Prague. Cela fait maintenant vingt ans qu’un mystérieux virus s’est développé chez les êtres humains et s’est propagé à toute la planète. Sa particularité ? Appelé Morphéus, il affecte le sommeil à divers degrés. Désormais, la plupart des gens ont une moyenne de vingt heures de sommeil par jour : il a fallu apprendre à s’organiser autrement ! Que ce soit au niveau du travail, des relations familiales ou sociales et dans la gestion du quotidien, tout a dû être repensé. En effet, difficile de tenir un rythme de production suffisant dans les entreprises, de maintenir un semblant de vie de famille quand les horaires de veille des uns et des autres sont décalés, et de gérer les courses, les repas et les rendez-vous divers, lorsque vous n’avez que quatre heures par jour pour tout faire.

Pascal Frimousse, lui, fait partie des « privilégiés » : il n’a besoin que de douze heures de sommeil. Il dispose donc de davantage de temps d’éveil que les personnes de son entourage. En tant que professeur de Lettres au lycée français de Prague, il doit revoir sa manière d’enseigner et d’évaluer ses élèves sans les pénaliser. Adieu les longs commentaires composés et les dissertations de dix pages. Ce qu’il faut à présent : avoir un esprit de synthèse.

« Un sens de la problématique, le môme. Vous lui donniez une étude comparée de trois courts poèmes du XIXe, disons le trio classique Baudelaire - Verlaine - Rimbaud, le cerveau de Jean- Gabriel vous problématisait tout ça au quart de tour : Verlaine, pédé. Rimbaud, pédé. Baudelaire, drogué. Problématique : une poésie de dégénéré. Note : 20. »

Son métier d’enseignant lui prenant de moins en moins de temps, Frimousse met son temps libre à mener des missions pas toujours très nettes, avec son collègue Michel, ancien CPE, lui aussi « Eveillé ». Retrouver des maris disparus, en faire disparaître, les deux hommes n’ont aucun scrupule ; juste envie d’occuper leur temps tout en gagnant un peu d’argent. Mais attention aux coups tordus !

Cette dystopie est plutôt rocambolesque, tant par la façon d’être des personnages que par l’écriture très stylisée de l’auteur. Il y en a, du sarcasme, au sujet de la société humaine lorsqu’elle se retrouve face à un imprévu d’une ampleur exceptionnelle : la panique générale entraîne des décisions regrettables, voire même stupides car prises sans le recul ni la réflexion nécessaires. J’ai adoré faire des parallèles avec ce qui se passe actuellement dans le monde avec le virus du Covid 19…


Au final, c’est un roman intelligent, qui entraînera le lecteur de science- fiction dans un style plutôt inhabituel… Comme si l’intrigue se déroulant en 2050 était en réalité ancrée un siècle plus tôt et exploitée avec une ironie – parfois un peu trop - loufoque.