samedi 30 octobre 2021

Les eaux noires, Estelle Tharreau (Taurnada, 10/2021)


 

Les eaux noires, Estelle Tharreau (Taurnada, 10/2021)

💓💓💓💓

Dans son dernier roman noir, Estelle Tharreau entraîne son lecteur dans des eaux ô combien fangeuses. Dans cette Baie des Naufragés, près d’Yprat, quelques habitants pataugent dans une boue pétrie par les secrets, les jalousies et les non- dits. C’est le meurtre de la jeune Suzy, dix- sept ans, qui va remuer cette bourbe et faire tomber bien des masques.

 

« Tout était dit. Tout était fait. Sans le savoir, Jo venait d'entrer dans l'engrenage du malheur et de la culpabilité. Elle n'en était qu'au commencement. » Jo, diminutif de Joséfa, est la mère de Suzy. Déjà affectée quelques années auparavant par le décès de son mari, la voilà effondrée par la disparition de sa fille ; et la découverte du corps de celle- ci rejeté peu de temps après par la mer.

 

« Plus tard, bien plus tard, les faits allaient montrer à Jo à quel point elle avait eu tort ce jour- là comme tant d'autres jours qui restaient à venir. Victime ou pas, ils allaient lui montrer que tout peut s'effacer dans les paroles, mais que rien ne disparaît dans les esprits. » Jo découvre peu à peu la véritable nature de ses voisins. Elle sent qu’on lui cache des choses et que déjà, des rumeurs inadmissibles, à son sujet ou à celui de sa fille, circulent. L’assassin demeure introuvable. Jo se désespère et se renferme sur elle- même. En qui faire encore confiance ?

 

« Coupable d'avoir laissé sa fille seule la nuit.
Coupable de ne pas avoir compris qu'elle devenait femme.
Coupable de s'être réfugiée dans une confiance aveugle.
Coupable d'avoir laissé faire pour ne pas déplaire.
Coupable d'avoir eu peur d'être abandonnée.
Coupable d'un égoïsme meurtrier.
 »

Les mois passent. L’enquête est au point mort. Mais au fil du temps, les soupçons sont passés d’une maison à une autre au sein de la Baie des Naufragés. Et puis voilà qu’arrive un flic un peu fêlé, Casano. Lui, n’a pas peur de marcher dans la boue, de remuer cette fange de manière à ce que la vérité, même sale, même honteuse, soit mise à jour. Mais Joséfa, elle, sera-t-elle prête à l’accepter ?

 

Au final, un roman noir captivant tant la plume de l’auteure est habile pour enserrer son lecteur dans un engrenage malaisant. Les chapitres sont courts et donnent un rythme parfait aux brusques changements de direction que prennent les enquêtes successives. Les personnages sont psychologiquement bien élaborés : on les apprécie puis on les déteste et inversement. Bref, un excellent thriller psychologique qui ne lâche le nom du coupable qu’à la toute fin du récit ; ce qui devient rare dans les productions actuelles.

mercredi 27 octobre 2021

Menteurs, Greg Hocfell (Elixyria, 07/2018)

 



Menteurs, Greg Hocfell (Elixyria, 07/2018)

💙💙💙💙

Un truc, un machin, une chose, échoué sur la plage, et voilà que notre esprit, à l’instar de celui de Greg Hocfell, s’affole ! Lovecraft et King auront laissé des traces indélébiles dans nos esprits, c’est indéniable, du genre de celles qui nous soufflent que nous ne voyons pas tout avec nos simples yeux d’humains ; qu’une autre dimension existe, trouble toujours, malfaisante souvent, qui modifie certains aspects de notre quotidien. Bienvenue sur la plage, à Couronne- Sur- Mer, là où les pin-up rêvent encore d’aller exhiber leurs derniers deux- pièces.

 

« Un promeneur avait découvert, ce matin, la carcasse d'un truc, d'une chose, d'un machin... personne ne se faisait une idée précise de ce que cela pouvait être, toujours était- il que ça avait gonflé en se décomposant sur la petite plage de Couronne- Sur- Mer, donc ce machin, cette chose, ce truc, avait respiré, vécu par le passé comme tout être vivant, et péri. » Quand Mickaël a signé son contrat étudiant à la mairie, on ne lui a jamais dit qu’il aurait à aller s’occuper du nettoyage de la plage. Et pourtant, ce matin- là, le voilà aux côtés de Roland, prêt à aller ramasser une masse non identifiée mais pestilentielle qui a échoué sur la plage. Le maire tient à garder ses touristes, donc aux premières heures du matin, voilà nos deux hommes dans la Saxo communale, partis à la première heure pour ramasser la cochonnerie et aller la balancer à la déchetterie. Sauf qu’une fois sur place, tout n’apparaît pas aussi simple que sur l’ordre de mission.

 

« Il n'y avait ni dieu ni aquarelle inachevée, il n'y avait qu'un putain d'océan dont certains secrets abominables s'échouaient parfois sur le rivage. » Questions, puis incompréhension : qu’est- ce que cet être à quatre pattes équipé d’un bec et de tentacules ? D’où vient-il ? Et d’ailleurs, vit-il encore ? Aux questions vont succéder les surprises puis les déconvenues. On reviendra armés, non mais ! L‘esprit s’égare entre rêve et réalité, entre passé et présent, entre espoirs et désillusions. Où se trouve la réalité au cœur de cette fiction ?

 

Au final, un récit captivant qui mêle préoccupations réelles d’aujourd’hui et onirisme d’hier, et qui se transforme au fil du récit en un conte écologique. On louvoie parfois dans les ellipses de l’esprit fantasque de l’auteur mais sans jamais perdre le fil conducteur de l’histoire. Les pages se tournent, et puis vient l’évidence allégorique, la prise de conscience que la fiction est peut- être bien plus raisonnable que le réel…

La fille de Kali, Céline Denjean (Pocket 2021, Marabout, 2016)



La fille de Kali, Céline Denjean (Pocket 2021, Marabout, 2016)

 💓💓💓💓💓

 Cap sur Toulouse, avec quelques détours en Inde compris dans le voyage ! Voici la première enquête d’Eloïse Bouquet, jeune capitaine récemment promue à la Section de Recherche de la gendarmerie toulousaine. Sa première affaire est des plus glauques : deux corps d’hommes atrocement mutilés sont découverts, en même pas un mois, la tête manquante. A leurs côtés, des pétales de fleurs, quelques piécettes et un sawastika tracé au mur ; l’assassin obéirait- il à un certain rituel en l’honneur de la redoutable déesse hindoue Kali ?

 

« Est- ce qu'une mère peut haïr sa fille ? Toi, tu as peut- être un avis sur la question… Moi, je sais… Moi, je suis la réponse. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais vu dans les yeux de ma mère que la désolation de m'avoir enfantée. Rejet viscéral. Dégoût. Parce que je suis l'incarnation même de son drame… » Calcutta. Plus tôt. La petite Nilin voudrait tellement que sa mère la regarde… l’aime. Elle tutoie le lecteur pour le rendre plus proche du drame de sa vie, incompréhensible, celui d’être rejetée par sa mère. Cette petite fille délaissée va être la clef de voûte de ce récit.

 

« - Il faut me croire ! Mon père était le dernier des salauds !
- ... Et alors ? questionna le détective, interloqué par cette réflexion.
- Les salauds ne se suicident pas. »
Toulouse, 2013. Danny Chang, détective privé, reçoit une jeune femme avide de récupérer un héritage, lequel dépend des conditions de décès de son père. Elle est persuadée que les gendarmes se sont fourvoyés. Amanda Kraft, elle, est une journaliste avide de gloire, à l’affut du scoop qui enfin la mettra en lumière aux yeux de la France entière. Et pendant ce temps- là, Eloïse lance ses hommes aux trousses d’une potentielle tueuse en série…

 

Céline Denjean utilise avec talent l’alternance de trois enquêtes aux finalités différentes pour offrir à ses lecteurs un récit à la forme spiralaire qui permet d’aborder différents aspects d’une affaire qui se révèlera aussi complexe que morbide. Les différents personnages sont psychologiquement finement ciselés au point qu’on ne peut que ressentir de la sympathie envers certains ou de la défiance pour d’autres. Personnellement, j’ai clairement un petit faible pour Jean- Marc, ce flic adepte des locutions latines ou citations littéraires de haut vol… Au final, un roman noir qui se dévore, qui évolue d’une façon qui fait que le lecteur sent le cercle des soupçons se resserrer afin de donner un point final à toute l’histoire, et avec brio ! Si vous ne connaissez pas encore Céline Denjean, foncez, et enchainez avec les deux enquêtes d’Eloïse Bouquet qui suivent : « Le Cheptel » et « Double amnésie », tout aussi excellents.

samedi 23 octobre 2021

La résonance des cœurs, Mélane Lor (Elixyria, 08/2021)


 


La résonance des cœurs, Mélane Lor (Elixyria, 08/2021)

💜💜💜💜

Et si vous mettiez un peu de musique dans votre cœur ? Mélane Lor fait vibrer la corde sensible des émotions en racontant une romance qui se noue dans l’univers des concerts, l’une de ses passions, entre une chanteuse, nommée Elya, et un « roadie », le bel Adrien.

 

« J'avoue, j'ai la trouille. La trouille que nous ne soyons pas sur la même longueur d'onde, peur que s'il se passe quelque chose, ça finisse mal et que je perde mon job. Je ne peux pas prendre ce risque. »  Savez- vous ce qu’est un « roadie » ? Je ne le savais pas moi- même et je l’ai appris en lisant ce roman ; c’est ainsi que l’on nomme le personnel qui monte et démonte le matériel qui se trouve sur scène. Ils sont donc toujours sur les routes, suivant les artistes dans leurs tournées. Adrien, jeune et beau roadie, vient de décrocher un contrat pour suivre le groupe Arcange, qu’Elya vient d’intégrer, elle aussi, en tant que chanteuse.

 

« Elle a raison, je n'ai même pas pensé qu'elle se mettait en danger elle aussi. » Alors qu’ils se sentent irrémédiablement attirés l’un vers l’autre, la raison les empêche de céder à la tentation : Elya et Adrien sont sur cette tournée pour travailler ensemble, et si leur histoire venait troubler l’harmonie de la tournée, nul doute que l’on mette fin au contrat de l’un ou de l’autre…

 

« - De nos cœurs. Ils battent fort, mais le plus troublant c'est cette impression qu'ils s'accordent l'un avec l'autre, jusqu'à résonner ensemble. » Vous l’aurez deviné, nos deux amoureux vont finir par entamer une relation des plus passionnées ; et advienne que pourra…

 

Au final, une romance à la mode « montagnes russes », entre les désirs et les craintes de nos deux protagonistes, servie par une plume limpide et sensible, qui donne la parole alternativement à l’un et l’autre. On se rend compte que le fait d’être sur les routes à longueur d’année ne facilite pas les relations à long terme. Alors quand Arcange termine sa tournée, et qu’Adrien est bien obligé de suivre un autre groupe à travers le monde, on s’inquiète…. Leur couple résistera t- il à l’absence et à la distance ? Je vous laisse le découvrir à votre tour…

jeudi 14 octobre 2021

Artifices, Claire Berest (Stock, 08/2021)


 

Artifices, Claire Berest (Stock, 08/2021)

💙💙

 Ce roman à la couverture magnifique, je l’ai ressenti tout d’abord comme une invitation au monde de l’Art performatif. En effet, l’auteure mêle ici une enquête policière concernant Abel Bac, flic qui vient d’être suspendu, et réflexions sur le parcours de Mila, une artiste multimillionnaire dont les œuvres d’art sont particulièrement dérangeantes. Ce sont des indices, placés comme les pièces d’un puzzle, sur le chemin du lecteur qui vont permettre à celui- ci de dénouer les fils d’une intrigue dont les racines sont ancrées d’un un passé douloureux et tragique.

 

« Que doit- on faire quand on nous prive de la raison des heures jusqu'alors si parfaitement établie ? Il est un chien perdu. Son activité organisée depuis quinze ans : horaires précis, métro, dossiers, interventions, auditions, paperasse, collègues. Structure essentielle anéantie » Je n’avais encore jamais lu Claire Berest, et j’ai été surprise par son écriture « râpeuse », son style incisif, ses phrases nominales saturées d’adjectifs. Il faut avouer que cela colle pourtant bien au personnage d’Abel Bac, ce flic suspendu sans qu’on ne lui donne la moindre explication. Ce grand solitaire qui n’accepte que la compagnie de ses nombreuses orchidées et qui ne vit que pour enquêter jusqu’à pas d’heures.

 

« C'est curieux comme les artistes pensent que les gens qui ne s'intéressent pas à l'art sont paumés en plein désert. Ou les écrivains qui pensent que les gens qui ne lisent pas sont déboussolés. » Une nuit, Elsa, sa voisine du dessus, s’effondre devant sa porte, totalement ivre. Parce qu’elle se sent redevable envers Abel, qui lui a permis de rentrer saine et sauve chez elle, la jeune femme fantasque va s’immiscer dans la vie du flic bourru. Et comme elle est en pleine rédaction d’une thèse en histoire de l’Art ; cela va être l’occasion pour nos deux voisins d’enquêter ensemble sur les mystérieux coups d’éclat que connaît soudainement le monde des musées parisiens…  

 

 

Au final, comme dit plus haut, il m’a été difficile d’entrer dans la lecture du récit. La narration est dense, foisonnante, laissant peu de place aux dialogues, et j’ai eu du mal à m’y retrouver, à poser les bases de l’intrigue de manière claire. Autant j’ai aimé les passages du récit consacré à Abel, concrets mais conformes à l’étrangeté du protagoniste, autant les parties dédiées à Elsa m’ont rapidement agacée. Son côté loufoque n’est pas suffisamment construit, ni crédible. Et je n’ai pas aimé qu’ici Claire Berest revienne inlassablement sur Marina Abramovic, comme si le lecteur était un inculte, incapable de comprendre l’essence de ses performances artistiques. Si son roman m’a attirée, c’est justement parce que je m’intéresse au monde artistique ! Il n’y a pas que les Parisiens qui lisent, et se cultivent !!

Par ailleurs, je passerai sur les passages – peu nombreux, heureusement- consacrés à Camille Pierrat, la collègue flic dont la grossièreté fait suinter les mots… Déçue, avec un grand « D ».