dimanche 15 juin 2025

Les saules, Mathilde Beaussault (Seuil Cadre noir, 01/2025)


 

Les saules, Mathilde Beaussault (Seuil Cadre noir, 01/2025)

Mathilde Beaussault est enseignante, écrivaine et fille d’agriculteurs. Dans son premier roman, elle retranscrit parfaitement l’ambiance qui règne dans l’univers rural de nos campagnes les plus reculées. C’est un monde de rustres, de « culs terreux » comme ils se nomment eux- mêmes, où les affaires sensibles se règlent entre paysans, et non en faisant appel aux fonctionnaires de justice. Un monde à part, parfaitement retranscrit par l’auteure.

« Fallait- il donner du grain à moudre aux moulins des mauvaises langues ! Peut- être. Marie- couche- toi- là. Et comme un prénom prémonitoire, Marie n'a plus été vierge à l'aube de ses quinze ans. » Le nœud de l’intrigue tient dans le meurtre de Marie, dix- sept ans, fille des pharmaciens du patelin, dont le corps a été retrouvé dans la Coulée, au lieu- dit de La Basse – Motte, là où vivent les paysans. Loin de son univers de privilégiée, dans la Haute – Motte. Qui a bien pu attenter aux jours d’une adolescente issue d’un milieu privilégié ?

« Elle ne comprend pas les histoires de grands comme dit sa mère quand elle veut se débarrasser du regard de moineau de sa fille qui la fixe par en dessous. » En parallèle de l’enquête, le lecteur suit Marguerite, petite sauvageonne qui traîne ses guêtres en tétant les manches de ses pulls partout où on ne l’attend pas. La petite est quelque peu délaissée par ses parents, des éleveurs débordés. Une gamine malmenée, harcelée à l’école mais dans l’indifférence générale. Taiseuse comme son père, elle distille ses mots judicieusement. Jusqu’à révéler des secrets dérangeants…

Au final, un roman noir rural qui respire l’authenticité de ce milieu qui survit grâce à ses propres règles. Les personnages sont terriblement attachants, entre la petite Marguerite, négligée mais dont les réflexions relatées par la narration sont terriblement perspicaces, et la tenancière du Bar, Mimi, dont l’intellectualité littéraire et éclairée va subjuguer les gendarmes en charge de l’enquête. Une plume oppressante et immersive… à suivre. 

lundi 9 juin 2025

La valse des jours, Alizé Cornet (Flammarion, 05/2022)

 


La valse des jours, Alizé Cornet (Flammarion, 05/2022)

💙💙💙💙

A l’occasion du tournoi annuel de Roland- Garros, je me suis décidée à lire le roman écrit par notre championne de tennis française, Alizé Cornet. Il n’y est absolument pas question de tennis, mais d’une saga familiale inspirée par les femmes de l’entourage de l’auteure. Cap sur Nice dans les années 60…

« Les livres étaient plus que jamais devenus son refuge, l'échappatoire qui lui permettait encore de laisser son esprit vagabonder librement, chose qu'elle ne s'autorisait que rarement désormais. Elle dévorait tout ce qui lui tombait sous la main ; des romans d'amour, des cahiers de poésie, des contes pour enfants, des classiques de la littérature. Hugo, Sartre, Zola, Molière, Hemingway, tout y passait. » La petite Jeanne est une fillette à l’intelligence vive. Au sein de sa famille, entre une sœur aînée délurée, un père employé et une mère au foyer, elle semble en décalage.

« Mais une fois la limite franchie, ce ne fut toutefois qu'une escalade exponentielle. Il se mit à l'insulter, à la menacer, à la violenter alors que les enfants étaient dans la pièce d'à côté, la tenant parfois si fort par le bras qu'elle gardait pendant plusieurs jours des marques qu'elle s'appliquait à camoufler de son mieux. » Le père de Jeanne est de plus en plus violent à cause de l’alcool. Hélène, femme battue, n’en peut plus de montrer cet exemple à ses enfants. Mais comment fuir, dans les années 60, quand on n’a aucune ressource, aucun diplôme, aucune expérience ?

« Oui, elle était heureuse, mais elle avait appris à ses dépens que cela ne durait pas. Elle chassa de son esprit le constat menaçant : oui, la vie était belle, mais pour combien de temps ? » Cette question, chacune des femmes de ce roman va se la poser. Hélène, Mouna, Jeanne, Sylviane, Ludmila… Les jours, les mois et les années passent. Les femmes acquièrent quelques libertés et le lecteur suit cette évolution sociétale en s’attachant à chacune des protagonistes.

Au final, un roman attachant comme ses personnages. Chacune de ses femmes trouve bien des barrières sur son chemin et Alizé Cornet sait très bien les mettre en scène. Sa plume est fluide tout en étant élaborée. Elle nous permet aussi de réfléchir au fait qu’on ne peut que se féliciter de vivre dans un pays qui a œuvré pour nous permettre de pouvoir aujourd’hui être indépendantes des hommes. Une auteure à découvrir…

mercredi 4 juin 2025

Fils de tueurs, Rachel Corenblit (Nathan, 02/2025)


 

Fils de tueurs, Rachel Corenblit (Nathan, 02/2025)

💙💙💙💙

Vous vous intéressez aux faits divers et au fonctionnement des tueurs en série ? Ce roman adressé aux adolescents à partir de quinze ans vous fera vivre une enquête « de l’intérieur », aux côtés d’un garçon ayant assisté aux meurtres perpétrés par ses parents. Une fiction largement inspirée par des affaires judiciaires ayant vraiment existé, comme l’affaire Fourniret (entre autres).

« Comme si c'était possible, ne pas être terrorisé à l'idée de ce qui m'attendait. J'allais rencontrer la Veuve Duval. Ma Mère.
La revoir. Elle. »
Clément accepte de rencontrer sa mère, emprisonnée depuis dix ans pour complicité de meurtre. Elle a en effet aidé son mari, Etienne, à enlever et éliminer plusieurs jeunes filles.

« Il restait huit corps.
Huit. Les huit dernières victimes du couple Duval. Les huit mortes qu'ils avaient gardées pour eux. »
La mère de Clément monnaye leurs rencontres à coups de révélations sur l’emplacement des corps ensevelis par elle- même et son mari.

« Elle veut que je me souvienne de tout et, peu à peu, ça me revient. Ça remonte des profondeurs.
Je crains de découvrir du sale. »
Clément a trouvé la paix en étant accueilli par la famille Aubry, des agriculteurs ayant la main sur le cœur. Grâce à eux, il a trouvé un semblant d’équilibre, la possibilité de se projeter dans un avenir en oubliant son passé. La démarche de sa mère risque de mettre à mal la stabilité du jeune homme de dix- sept ans.

Au final, un récit captivant. Personnellement, je ne me suis jamais projetée dans l’esprit d’un enfant de criminel et ce roman en donne un aperçu criant de vérité. Comment faire face au parent restant, insistant pour se justifier ? Que faire du conflit de loyauté ? Certains passages font froid dans le dos. Une lecture marquante.  

mardi 3 juin 2025

Les Dragons, Jérôme Colin (Le Livre de poche, 05/2025)


 

Les Dragons, Jérôme Colin (Le Livre de poche, 05/2025)

💥💥💥💥💥

Je referme ce livre avec énormément d’émotion, les larmes au bord des yeux. Jérôme Colin a su parler à l’adolescente que j’ai été jadis, explosive et parfois (probablement souvent) violente face à mon incompréhension du fonctionnement du monde et mon statut actuel de professeur en collège, cette fois, désarmée par la souffrance ressentie par certains de mes élèves…

« Les bibliothèques ordonnées sont des cimetières. "Comment tu veux t'y retrouver dans ce foutoir", disait- elle. Elle n'a jamais compris que j'aimais justement m'y perdre. Promener mon regard sur les dos, saisir un roman au hasard, humer ses pages, retrouver une phrase soulignée lors de sa lecture. Chercher un livre. En trouver dix autres. » Jérôme, 35 ans, se retrouve en difficulté lorsque sa compagne depuis dix ans lui demande de coller au schéma sociétal attendu : un couple, une maison, un chien, des enfants. Pour cela, il faut ranger la maison. Et la bibliothèque ; ce lieu plein de secrets et de mystères…

« Quand doit- on rouvrir les pages de son enfance ? Quand est- il temps de retourner à l'endroit exact où l'on s'est pourtant promis de ne jamais revenir ? » Sur l’étagère, un carton plein de souvenirs de fin d’enfance… Enfin, plutôt d’adolescence, lorsque Jérôme a été interné dans un centre fermé pour jeunes en difficultés sociales et psychologiques. Le début d’une prise de conscience, ou plutôt une rencontre éclairante avec une certaine Colette, fardée de noir et suicidaire.

« Pour avoir envie de s'asseoir au premier rang, il faut y croire. Il faut avoir confiance en ce monde et envisager de pouvoir y trouver sa place. Or, je n'avais pas confiance. Et la place qu'ils avaient prévue pour moi, je n'en voulais pas. J'ai détesté l'école parce que je maudissais ce qu'elle me promettait. » Jérôme énonce des problèmes intrinsèques à son enfance ; ce rejet de la vie trop « normale » de ses parents et la difficulté d’y trouver une place. Jérôme a envie « d’autre chose » mais ne sait pas de quoi exactement…

Au final, une lecture bouleversante, fracassante même. Personne ne peut en sortir indemne, que ce soit du fait de son histoire, de celle de ses enfants, de cette société dans laquelle on ne se reconnaît plus. Indispensable.

samedi 31 mai 2025

A retardement, Franck Thilliez (Fleuve noir, 05/2025)


 

A retardement, Franck Thilliez (Fleuve noir, 05/2025)

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Avez- vous déjà entendu parler des U.M.D. (Unités pour Malades Difficiles) ? Franck Thilliez a choisi ce cadre bien particulier pour point de départ de cette enquête menée par Sharko et Henebelle. Un nouveau patient vient d’y être accueilli, délirant, sans papiers, il prétend être à la chasse de vers qui envahissent le monde… Au même moment, un homme est retrouvé assassiné cruellement, mais impossible là aussi de déterminer son identité. Les deux affaires seraient- elles liées ?

« Ils avaient agressé, violé, tué sous l'emprise d'une maladie psychique. "Des monstres", comme on les désignait à la boulangerie du coin. » L’U.M.D. de Chambly est un univers particulier, accueillant des malades atteints de psychoses diverses étant également des meurtriers aux actes particulièrement sauvages. Eléonore Hourdel y exerce le métier de psychiatre, luttant contre les « a priori » partagés sur les malades qu’elle prend en charge.

« Au fil des heures, cependant, l'effet du sédatif se dissiperait. Le voyageur sans bagage redeviendrait l'homme qu'il avait été deux jours plus tôt.
Bientôt, le dragon de la maladie allait le réveiller. »
Un jeune homme vient d’être accueilli à l’U.M.D. alors qu’il délirait sur le quai d’une gare au point de pousser un voyageur sur les rails. La police n’a pas pu communiquer avec lui et son état les a poussés à l’interner immédiatement. Eléonore Hourdel va le prendre en charge ; un cas qui va la laisser perplexe.    

« "Pourquoi voit- on surgir d'un coup cette silhouette de "La Nef des fous" et son équipage insensé envahir les paysages les plus familiers ?" C'était exactement ça, il avait cette sinistre impression qu'on était en train de lever une armée de fous. » Sharko et Eléonore vont devoir mener une enquête en parallèle pour comprendre les tenants et les aboutissants des divers drames atroces qui vont suivre les deux premiers. Le passé et le présent vont se mêler et faire remonter une histoire bien inquiétante…

Au final, j’ai été captivée du début à la fin. Certains passages m’ont fait frissonner… On sent que l’auteur a passé du temps dans un U.M.D. (il en parle à la fin du livre) car il en fait parfaitement ressentir l’ambiance. Et comme d’habitude, il sait faire en sorte qu’on s’attache à l’équipe de ses flics ! Un très bon Thilliez !