vendredi 28 octobre 2022

Sa préférée, Sarah Jollien- Fardel (Sabine Wespieser éditeur, 08/2022)

 


Sa préférée, Sarah Jollien- Fardel (Sabine Wespieser éditeur, 08/2022)

💓💓💓💓💓 

Je referme ce premier roman est la première réflexion qui me vient est celle de frissonner ; oui, alors qu’il fait 30°C, car ce roman est glacial. Et ce n’est pas parce que l’essentiel de l’intrigue se situe dans les Alpes valaisannes. C’est cette langue âpre, ce malaise qui tourne autour de ce que raconte la narratrice, ce manque d’amour, cette haine qu’elle voue à sa famille mais surtout à elle- même. C’est encore ce silence des montagnards taiseux qui condamnent mais jamais ne tendent la main. Une histoire qui fait froid dans le dos et serrer les dents.

 

« Derrière les mots, la haine, la misère, la honte. Et la peur. Les mots étaient importants. Je devais les écouter tous. Et leur intonation aussi. » Selon Annie Ernaux, « la littérature n’est pas neutre » et les mots permettent de dire une réalité ; celle du commun des mortels, celle de celui qui décide de se confier, ou de raconter. Lorsque Jeanne, la narratrice, se rend compte de la puissance du mot, elle s’en empare comme d’un bouclier. En décidant de devenir institutrice, c’est sa peau qu’elle essaie de sauver.  

 

« - Je sais que c'est mal. Mais j'étais sa préférée.
L'abject et l'obscénité m'étouffent. J'ai mal pour elle, je le hais, lui. Plus encore. Et ma mère, muette, sourde et aveugle, la sainteté dont je la parais et que je vénérais, ma famille plus miséreuse que ce que je pensais. Je voudrais la consoler de sa peine. J'en suis incapable.

Sa préférée. » Emma, la sœur aînée de Jeanne ne possède pas les mêmes capacités intellectuelles. Et c’est comme si cette simplicité d’esprit justifiait qu’on la traite mal depuis l’enfance et que cela continue à l’âge adulte. Un misérabilisme social qui se sert de la naïveté pour excuser les déviances des hommes.   

 

« Je ne me suis jamais habituée à la violence. Pire, ne plus la subir me plonge dans un désespoir caverneux. C'est comme de l'huile bouillante déversées sur mes blessures jamais cicatrisées. Durant des jours, je suis mutique, hébétée, le moral ravagé. » Jeanne tente de se reconstruire ; mais comment oublier toutes ces années, tous ces jours où la violence, souvent inouïe, éclate pour une excuse futile, un objet posé de travers, un regard… Comment pardonner à ceux qui savaient mais non jamais rien dit, jamais aidé ?

 

Au final, un premier roman rédigé avec un grand talent, des mots et des formulent qui percutent, des passages qui laissent pantois. C’est un récit dur, mais que je recommande vivement.

jeudi 27 octobre 2022

Fais- moi une place, Emma Green (Addictives, 10/2022)


 

Fais- moi une place, Emma Green (Addictives, 10/2022)

 💙💙💙

Voilà un petit moment que je vois passer ce nom d’Emma Green, duo de jeunes romancières prolifiques (plus de deux cents romans écrits et publiés depuis 2013 !!!), et voilà qu’enfin, je me décide à les lire ! La quatrième de couverture me tentait, il faut dire : une jeune chanteuse qui se retrouve à devoir vivre avec une mamie au caractère bien trempé !

 

« "Tant que je peux chanter, je peux survivre."
Ce credo me suit depuis des années. Chanter m'évite de crier, de pleurer, de ressasser, de grignoter toute la journée, de me saouler trop vite, trop tôt ou trop souvent, et d'embrasser n'importe qui. »
Juliette gagne sa vie en chantant dans les bars. Son plus grand malheur est que sa mère ne s’occupe absolument pas de sa progéniture. Et cela, au point de ne plus payer le loyer de leur logement ; ce qui fait que la jeune femme se retrouve à la rue.

 

« Cette voix. Ce timbre. Du velours de crème. Du chocolat fondu brûlant. Une bombe à retardement.
Je me retrouve face à l'essence même du fantasme féminin. Ou, en tout cas, du mien. »
Juliette trouve refuge dans un hôtel particulier que sa mère a jadis acheté en viager. Pour cacher les apparences elle s’y occupe de la résidente âgée de 84 ans, Suzanne, une bourgeoise bohème et excentrique. Mais elle doit aussi cohabiter avec le petit- fils de celle- ci, Laszlo, un jeune homme secret, ténébreux, mais terriblement attirant…

 

« Peu me chaut que Godefroy soit devenu radin et méfiant avec l'âge, que Gersende soit si soumise à son mari le général, que Gonzague ne se souvienne de mon numéro de téléphone que trois fois l'an. Non, tu fais des enfants pour les aimer longtemps. Pour les aimer malgré tout. Pour les voir grandir, aimer à leur tour, se tromper, avoir des rejetons pénibles et ingrats qui ne téléphonent pas. Tu fais des enfants pour avoir le plaisir de les regarder devenir grands, forts, fragiles, vieux jeu, égoïstes, soumis, radins et méfiants... » Au- delà de l’attirance entre Juliette et Laszlo, le récit met en valeur le personnage formidable de Suzanne, cette vieille dame terriblement attachante malgré ses remarques acerbes – mais justes – et ce qui peut apparaître comme des caprices. Mais la mamie voit clair dans les relations humaines de toutes sortes !

 

Au final, un livre sympa à lire. J’ai eu l’impression de lire un roman de Virginie Grimaldi aromatisé à la sauce « romance ». Pas de surprises, ni de retournements de situation de dingue : nous sommes dans une romance à la sauce Harlequin des années 2000. A lire quand le cerveau a besoin de repos. 

mardi 25 octobre 2022

Vanda, Marion Brunet (Le Livre de Poche, 02/2020)



 Vanda, Marion Brunet (Le Livre de Poche, 02/2020)

 💔💔💔💔💔

Quel livre ! Mon Dieu quelle histoire !!! Je viens de refermer ce roman et je me sens anéantie… Tant de noirceur, de misère sociale prise en pleine tronche, sur fond d’un amour mère- fils inconditionnel. Marion Brunet se sert du cynisme ambiant et de sa plume incisive (on retrouve bien là le style de « L’été circulaire » qui m’avait mis une grande claque lui aussi) pour broder un récit qui permet l’incarnation de la parfaite « victime » de la société française des années 2020.

 

« Quand elle boit son coca à la paille, il la trouve vulgaire. Ça le gêne qu'elle fasse du bruit en aspirant le fond comme une gamine. Il ne se souvient plus s'il aimait ça avant. Cette nonchalance de petite folie, sa façon de se foutre de certaines choses. » Vanda vit à la marge de la société, dans un cabanon situé sur la plage qui borde la cité phocéenne. Tatouée, bronzée et le style négligé, elle fait fi des regards des « gens bien » et vit sa vie comme elle l’entend, avec son fils, Noé, né six ans plus tôt d’une relation sans réel lendemain avec un étudiant des Beaux-Arts avec qui elle suivait des cours. Ce gars, Simon, était parti très vite, histoire de faire carrière en tant que graphiste à Paris, si bien qu’il ignore totalement sa paternité.

 

« Quand son fils est né, quand elle l'a reçu contre elle pour la première fois, ça a déchiré quelque chose, en dedans. Il était là et il n'avait qu'elle. Il va t'aimer toute sa vie, elle se répétait, et elle ne savait pas si c'était un bonheur ou une putain de malédiction. » De cette relation exclusive entre la mère, désœuvrée et seule, et son fils, va naître un lien fusionnel incroyablement fort. Alors quand Simon revient pour enterrer sa mère et qu’il apprend avoir un fils, il va lui être difficile de s’imposer, de trouver la place qu’il estime mériter, envers et contre tout.

 

« On compte tellement pour rien. C'est même plus du cynisme, c'est au- delà. » C’est l’heure des gilets jaunes et des manifestations violentes entre les grévistes et les policiers. Vanda, poussée par ses collègues, se retrouve en première ligne. Et à partir de là, la dégringolade commence, violement. Vanda doit trouver une échappatoire au plus vite, entre la société qui la rejette comme elle le ferait d’un chien galeux, et cet ancien petit- ami qui réclame ses droits de père, menaçant le seul élément qui lui permette encore de tenir debout : le lien fusionnel entretenu avec son fils depuis toujours.

 

Au final, un roman court mais qui ne peut se lire d’un coup tant les émotions qu’il véhicule sont violentes. J’ai été profondément marquée par l’existence ponctuée de déboires successifs de ce personnage incarné par Vanda ; victime de la société depuis son enfance parce qu’elle ne répond pas aux normes de la bienséance. Un roman coup de poing que je ne suis pas prêt d’oublier. 

mercredi 19 octobre 2022

Partie italienne, Antoine Choplin (Buchet - Chastel, 08/2022)



Partie italienne, Antoine Choplin (Buchet - Chastel, 08/2022)

💙💙💙💙 

J’avais déjà entendu parler d’Antoine Choplin mais je n’avais encore jamais eu l’opportunité de le lire. C’est désormais chose faite et je peux dire que je comprends qu’on parle de lui tant sa plume est habile, cultivée et agréablement poétique.

 

« Sur l'échiquier finement marqueté, les pièces projettent leurs ombres élégantes. Avec nonchalance, l'index de l'homme qui s'est assis en face de moi glisse un instant sur le plateau pour épouser les contours de deux ou trois d'entre elles. » Le narrateur, prénommé Gaspard, est un artiste plasticien français de renom. Alors que sa popularité n’a de cesse de croître, il part à Rome pour une parenthèse de repos et de réflexion. Dans ses bagages, un échiquier, qu’il pose sur la table d’un café, afin de se mesurer aux joueurs de passage.

 

« Pour mes sens un brin assoupis, les coudes sur le bord de la table et le menton en pesée sur mes deux poings réunis, elle n'est d'abord qu'une demi- silhouette furtive, augmentée d'un effet de drapé, celui d'une jupe ou d'un bas de robe au tissu rêche et clair. Un grand sac à main se retrouve pendu par sa bandoulière au dossier de la chaise métallique qui me fait face. » Les adversaires défilent, indifféremment. Et puis apparaît Marya, « la championne » comme la surnommera le vendeur de fruits et légume installé à côté de la table de café occupée par Gaspard.  

 

« Lorsque Simon arrive à Auschwitz, l'un des collaborateurs du commandant, Richard Baer, le reconnaît. Un nazi du nom d'Achill Flantzer, lui-même amateur d'échecs. Il le sauve d'une mort immédiate en le recrutant comme secrétaire particulier. Avec l'idée, surtout, de passer du bon temps sur l'échiquier face à un joueur de grande valeur. » Avec l’interruption de Marya dans son existence, c’est l’opportunité de croiser l’Histoire ; la petite avec la naissance d’une idylle, et la grande avec le passé de cette jeune femme, venue à Rome pour retrouver la trace de son aïeul.

 

Au final, un roman déroutant mais charmant. Les spécialistes des échecs y trouveront probablement plus de sens que moi mais j’ai aimé la façon dont Antoine Choplin accroche son lecteur avec des parcelles d’expérience qui font miroir avec le propre vécu de chacun. Une plume que je vais relire.  

mardi 18 octobre 2022

Feeling of fear, Tasha Lann (Elixyria, 04/2021)


 

Feeling of fear, Tasha Lann (Elixyria, 04/2021)

 💓💓💓💓💓

Tasha Lann est une auteure décidément diabolique ! J’ignorais que cet opus était un spin- off de la trilogie « Dark felling » que j’ai récemment dévorée, mais je pense qu’au niveau de la psychologie des personnages, c’est bien le plus torturé. Arrivée à la moitié, je n’ai pas pu le lâcher avant la fin, happée par le besoin de découvrir où allaient mener les retrouvailles entre Aleksy et Nélia, dix ans après leur difficile cohabitation dans le camp d’entraînement russe pour enfants dirigé de manière tyrannique par le père de Nélia, justement.

 

« Nous avons les mêmes caractéristiques : cheveux clairs comme les blés, prunelles bleues emplies de démons, mais lui est né dans la misère, moi, dans la haute société. » Aleksy a été vendu, gamin, à la mafia russe. Entraîné dans un camp mené par le père de Nélia, il n’en a pas moins été victime de tortures et de sévices indicibles. D’autant plus quand il a été évident que les deux enfants étaient attirés l’un envers l’autre. Il vient de l’enlever ; par amour ou par vengeance ?

 

« Tandis que je l'aimais à en crever, lui me détestait. J'ai l'impression que toute mon adolescence où je me suis infligé une culpabilité insoutenable n'a été que damnation. Une larme glisse en silence, dernier vestige de la fleur bleue que j'étais. » Nélia rêvait de ce gamin blond, l’imaginait comme son sauveur, son âme sœur. Mais une fois avec lui, il ne lui inspire plus que remords et terreur.

 

« Le prisonnier me foudroie sur place, me promettant vengeance. A cet instant, plus rien n'existe. Il n'y a que lui qui rêve de me zigouiller, et moi, qu'il captive sans que je puisse m'échapper. Cette connexion est si puissante que je cesse de respirer, happée par tant de férocité. » Même si Aleksy est un homme de main craint dans les pays de l’Est, sa trahison envers son ancien patron, Alec Wheelan, est connue de manière internationale. C’est un homme recherché qui va devoir se redéfinir pour pouvoir avancer dans sa vie de malfrat torturé ; mais aura-t-il assez de recul pour pouvoir prendre les bonnes décisions ?

 

Au final, vous l’aurez compris, c’est un roman que j’ai vraiment beaucoup aimé. La psychologie des personnages, des traumatismes, et de l’origine de la perversité, est tellement bien abordée qu’on ne peut que s’attacher aux personnages et comprendre leurs revirements de trajectoire complètement incongrus. Un sacré bon complément sur Aleksy, personnage si trouble dans « Dark feeling » !

dimanche 16 octobre 2022

L’événement, Annie Ernaux (Gallimard, 03/2000)


 

L’événement, Annie Ernaux (Gallimard, 03/2000)

 💙💙💙💙💙

Annie Ernaux a reçu le Prix Nobel de littérature il y a quelques jours. Une récompense qui me ravit et qui m’a donné envie de me replonger dans l’œuvre de cette grande dame ! Il se trouve qu’après avoir lu « Le jeune homme », au printemps, je m’étais procuré « L’Evénement » dans la foulée. Je l’avais laissé de côté, et j’ai été ravie de pouvoir m’y plonger ces jours- ci.

 

« Si beaucoup de romans évoquaient un avortement, ils ne fournissaient pas de détails sur la façon dont cela s'était exactement passé. Entre le moment où la fille se découvrait enceinte et celui où elle ne l'était plus, il y avait une ellipse. » Nous sommes en 1963. L’avortement est interdit, tabou, secret. C’est une honte pour les femmes qui y ont recours. Annie Ernaux est estimée du fait de son statut d’étudiante en Lettres. Elle se détache du milieu prolétaire de ses parents. Mais son état de jeune fille enceinte va la ramener directement, aux yeux des gens, dans la condition sociale de ses parents

 

« Il y a une semaine que j'ai commencé ce récit, sans aucune certitude de le poursuivre. Je voulais seulement vérifier mon désir d'écrire là- dessus. Un désir qui me traversait continuellement à chaque fois que j'étais en train d'écrire le livre auquel je travaille depuis deux ans. Je résistais sans pouvoir m'empêcher d'y penser. M'y abandonner me semblait effrayant. Mais je me disais aussi que je pourrais mourir sans avoir rien fait de cet événement. » Ce récit autobiographique a la particularité d’avoir été rédigé en deux temps : les notes prises dans un journal intime en 1963, et une espèce de « retour sur expérience » daté de 1999. Une prise de recul intelligente qui permet au lecteur de mesurer la profondeur de la réflexion menée par Annie Ernaux sur son projet d’écrire sur la Vie.

 

« J’ai fini de mettre en mots ce qui m’apparaît comme une expérience humaine totale, de la vie et de la mort, du temps, de la morale et de l’interdit, de la loi, une expérience vécue d’un bout à l’autre au travers du corps. » La loi, parfois immorale, souvent remise en question, a beau avoir évolué en France, il est toujours aussi mal vu d’avorter. Et parce que ce droit est de plus en plus en danger dans le monde, il est salutaire que des romans tels que « L’Evénement » soient publiés et lus, encore et encore.

 

Au final, un récit touchant qui suscite nombre de réflexions, sur le corps des femmes, les valeurs, parfois (souvent) contradictoires, véhiculées par notre société, et la nécessité – toujours – de l’écriture. Un livre qui confirme le bien- fondé de la récompense du Nobel. Indubitablement. 

vendredi 14 octobre 2022

Arpenter la nuit, Leila Mottley (Albin Michel, 08/2022)

 



Arpenter la nuit, Leila Mottley (Albin Michel, 08/2022)

💜💜💜💜

Voilà un premier roman étonnant ; grave mais poétique, dense tout en étant juvénile. Leila Mottley situe son histoire dans les bas quartiers d’Oakland, où la jeune Kiara cherche comment payer le loyer de l’appartement dans lequel elle vit avec son frère Marcus, qui désespère de se faire connaître dans le milieu du rap. Les parents ne sont plus là et Kiara se retrouve livrée à elle- même. Comme beaucoup de jeunes filles noires, mineures, aucun travail ne se présente et la pauvreté l’amène à la prostitution.   

 

« Je le suis mais je ne sais pas si c'est parce qu'il fait froid et que je me dis qu'il va m'emmener loin du vent ou si c'est à cause de ces deux derniers jours et de ces quelques verres. C'est peut- être ça qui me donne vaguement envie de ce type, cette fièvre qui envahit toutes les parties de mon être censées avoir assez de jugeotte pour faire demi- tour, trouver un bus ou une rue animée. » Un soir de déprime, quelques verres de cocktail à la cerise, un regard insistant, et Kiara avait cru trouver un peu de chaleur auprès d’un homme séduisant. Mais le beau rêve devient cauchemar éthylique, teinté d’une agression sexuelle, pour laquelle le type va ensuite s’excuser en laissant à Kiara deux cents dollars… et une écharpe.  

 

« J'ai un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire ce qu'il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et tout son bleu. Je tangue, à moitié marchant, à moitié chancelant. Le long d'International Boulevard. Sans musique et sans Tony. Rien que moi et de la tequila plein l'estomac. » Personne ne veut employer Kiara ; mineure, sans expérience, aucune chance. Alors quand les factures s’accumulent, que les estomacs sont vides, et que l’on est une jeune femme vivant près de l’International Boulevard d’Oakland, il y a une odieuse solution : vendre son corps. Sa triste expérience de soir d’ivresse lui a appris qu’un corps peut n’être utilisé que comme tel. Sans état d’âme. Sans remord. L’existence ayant perdu toute morale.

 

« Aujourd'hui c'est mon dix- huitième anniversaire, celui que j'attendais. J'autorise cette journée à n'être rien que pour Trevor et moi, notre gâteau et les rediffusions de "Sesame Street" à la télé. » Dans la noirceur du quotidien de Kiara, il y a une éclaircie nommée Trevor. Ce petit garçon de neuf ans, abandonné par une mère junkie est devenu la raison de vivre de la jeune fille ; comme un prolongement de sa propre enfance et une projection de sa vie d’adulte.  Un équilibre bien malmené…

 

Au final, un roman qui se lit lentement, car il est nécessaire de prendre le temps de digérer la lourdeur des diverses situations traversées par la jeune héroïne. J’avais peur que le récit soit glauque mais ce n’est pas le cas ; peut- être grâce à la jeunesse de l’auteure, mais probablement aussi du fait de sa une plume onirique qui permet de prendre de la hauteur par rapport au malheur subi par cette jeune femme vulnérable, livrée à elle—même dans un monde sans scrupule, ni humanité. A lire.   

samedi 8 octobre 2022

Comme une image, Magali Collet (Taurnada, 10/2022)

 



Comme une image, Magali Collet (Taurnada, 10/2022)

💘💘💘💘💘 

Diabolique ! Si je ne devais utiliser qu’un seul mot pour qualifier ce roman, ce serait celui- là ; « diabolique » ! Pourtant, le personnage principal est une petite fille de 9 ans (attention, bientôt 10 !) à qui « on donnerait le bon Dieu sans confession », qui obéit à ses parents, sourit à la voisine et prend soin de ses vêtements au look désuet : jupe marine plissée et chemise blanche, qu’elle s’est elle- même imposé. Une petite fille qui détonne au milieu des enfants de nos jours.

 

« Alors, je cache ce que je suis vraiment. Je m'arrange pour glisser quelques erreurs de temps en temps dans mon travail, j'essaie de poser des questions dont je connais la réponse, parce que j'ai vite compris qu'il ne fallait pas être à l'écart d'un groupe. La classe, c'est une meute, comme les loups. » Lalie est une petite fille intelligente, très intelligente, même, au point de probablement entrer dans la catégorie des enfants à haut potentiel. Mais elle ne souhaite pas le montrer. Elle se sert de ses capacités intellectuelles pour se fondre dans la masse et manipuler son entourage.

 

« Elle attrape le plus gros. Il pousse un petit miaulement et la regarde fixement. Elle sourit. Elle sent la vague monter encore et encore. C'est une sensation étrange, à la fois exaltante et un peu effrayante, car elle ne sait jamais si elle pourra la contrôler ou même, si elle en ressentira l'envie. » La narration de certains chapitres est interne ; nous sommes dans la tête de Lalie et ce procédé nous permet de suivre le cheminement de ses pensées. Les autres passages sont omniscients et le passage de l’un à l’autre fait passer le lecteur de la position d’acteur à celle de spectateur. C’est vraiment habile de la part de la romancière car on sent les malheurs arriver et on y assiste ensuite, terrifié et impuissant. Tant de cruauté dans l’esprit d’un enfant est, ô combien, dérangeant !

 

« - C'est une psychopathe.
- Tu ne peux pas dire ça. D'ailleurs, on ne parle pas de psychopathie avant l'âge adulte.
- Alors quoi ? On le devient subitement à la majorité ? »
Au fur et à mesure des incidents qui vont jalonner l’existence de Lalie et de son entourage, il devient évident que le comportement de cette petite fille est loin d’être normal. Les parents vont- ils accepter d’ouvrir les yeux ? Jusqu’où va-t-elle aller dans l’horreur ?

 

Au final, un thriller psychologique glaçant, terrifiant. Il est rare de lire ce genre de récit avec un enfant dans le rôle d’un protagoniste au comportement psychologique aussi pervers. Les procédés littéraires utilisés par la romancière sont parfaitement en adéquation avec l’histoire racontée et la rendent encore plus prenante. Jai adoré et je vous le recommande vivement !

mercredi 5 octobre 2022

Pas la fin du monde, Rachel Corenblit (Bayard, 08/2022)


 

Pas la fin du monde, Rachel Corenblit (Bayard, 08/2022)

💙💙💙

 

Pour beaucoup de Toulousains, septembre 2001 a eu un goût de fin du monde. Le 11, ils ont assisté comme la terre entière à l’attaque des tours jumelles de New – York, mais quelques jours plus tard, le 21, ils ont subi l’explosion de l’usine AZF, avec encore en tête, les images d’un attentat meurtrier. Un accident terrifiant et extrêmement traumatisant. Rachel Corenblit place son intrigue le matin m’même de l’explosion, avec le point de vue de différents membres d’une même famille, déchirée par les événements pourtant communs de la vie.

 

« Juste après, le silence. Un silence en apesanteur. Sa respiration, une fois, deux fois, presque rauque. Il leva les mains au niveau de ses yeux pour vérifier s'il n'était pas blessé, tenta de bouger mais son corps lourd était comme aplati, trop raide. Les nuées ardentes auraient pu le recouvrir, il serait resté à cet endroit et on l'aurait retrouvé des siècles après, carbonisé, son empreinte fossilisée, preuve qu'il avait vécu, qu'il était mort, là. Léon Marin, dix- neuf ans, étudiant en philo, fils d'un raté et d'une pute, frère d'une conne, petit- fils d'une folle rescapée de la guerre. » Léon, dont l’esprit est obnubilé par sa récente rupture avec Julie, qu’il voyait comme la femme de sa vie, revient à des réflexes de base suite à l’explosion qui a dévasté une partie de la ville. Respirer, bouger vont être ses premières nécessités. Puis, étrangement, c’est s’assurer que les membres de sa famille sont sains et saufs qui va devenir sa priorité ; alors que cela fait des années qu’il ne les côtoie plus.    

 

« Pas de baisers, pas d'accolades. Ils restèrent en face l'un de l'autre, immobiles, comme ignorants des us et coutumes des retrouvailles.
Deux sauvages.
C'est ce qu'elle pensait d'eux : ses petits- enfants avaient grandi comme des sauvages. »
Léon retrouve sa sœur, Frida mais aussi Aida, la grand- mère paternelle auprès de laquelle leur père a trouvé refuge après son divorce avec la mère des enfants, Inès. Mais les retrouvailles sont glaciales ; jusqu’à ce qu’on se rende compte que François, le père dépressif, demeure introuvable.

 

« On ne s'en rend pas encore compte mais l'effondrement des tours aux Etats-- Unis préfigure notre fin. La chute de notre empire débute le 11 septembre 2001. Toulouse qui brûle en est la suite logique. Des avions se jettent contre des buildings, des usines explosent. Et demain, le monde flambera. » Sur la route des enfants des prédicateurs pointeront le doigt sur un état de fait qui forcément, fera réfléchir le lecteur.

 

Au final, un roman jeunesse agréable à lire même si l’ambiance est particulièrement morose. Pour les personnes habitant Toulouse ou ayant de la famille y résidant en 2001. L’accident d’AZF est prégnant dans les esprits. Hormis le contexte, c’est un roman qui fait réfléchir sur les relations intra- familiales et on se rend compte que devant la catastrophe, les liens du sang se réveillent, oubliant (momentanément) les rancœurs diverses. Seul bémol : les coquilles alors que le livre est publié par une maison d’édition de renom… 

dimanche 2 octobre 2022

Un enfant sans histoire, Minh Tran Huy (Actes sud, 08/2022)



 Un enfant sans histoire, Minh Tran Huy (Actes sud, 08/2022)

💙💙💙💙

 Minh Tran Huy est une romancière et journaliste reconnue. Elle prend le pari ici de prendre la plume pour parler de son fils, Paul, qui jamais ne lira les mots couchés sur le papier par sa mère. Car Paul est autiste.

 

« Les Etats- Unis, tout comme le reste de l'Europe, ont abandonné dans les années 1960 les théories psychanalytiques attribuant l'autisme à un traumatisme psychologique. Pas la France, férue de psychanalyse depuis longtemps - c'est le pays qui compte le plus grand nombre de psychanalystes par habitant dans le monde. Le combat continue de faire rage entre ceux qui considèrent qu'un enfant comme Paul, victime d'une hypothétique, si ce n'est fantasmagorique, "blessure psychique", ne parle pas parce qu'il ne veut pas parler ; et ceux qui pensent qu'il ne parle pas parce qu'il ne peut pas parler, et qu'il faut par conséquent l'aider à acquérir les compétences (communicationnelles, cognitives, sociales, motrices…) dont disposent les enfants ordinaires. » La France, éternelle Lacanienne, a bien du mal à se secouer et à envisager d’autres prises en charge que la psychanalyse pour soigner les âmes en détresse. L’enfant va mal ? C’est la faute de sa mère…

 

« Nous sommes en 1990 et la réussite de Temple est d'ores et déjà spectaculaire: la fillette qui tapissait sa chambre de ses excréments, se débattait en hurlant pour des raisons que nul ne parvenait à saisir, l'enfant violente, incontrôlable, que son père et les psychiatres voulaient institutionnaliser, celle que ses camarades d'école, de collège, de lycée traitaient de "tarée" avec un mélange de peur et de mépris, occupe désormais le poste de professeur d'université en science animale, auquel elle a ajouté les casquettes d'ingénieure et de femme d'affaires […]. » La romancière prend appui – et espoir- sur le chemin de vie de Temple Grandin ; ébahie de constater que les soins qui lui ont permis d’avancer vers une espèce de « conformité sociétale » sont nés de l’instinct de la mère, puis de l’attention d’un professeur. Inspirant, mais ô combien culpabilisant quand on ne parvient pas à faire de même…

 

« En jetant toutes nos forces dans une bataille quotidienne contre l'autisme, Adrien et moi avons oublié qu'il s'agissait d'un marathon et non d'un sprint. Nous avons négligé de prendre soin de nous comme il l'aurait fallu et avons du mal à maintenir la tête hors de l'eau. » Les parents ont tout donné pour leur petit Paul : temps, énergie et argent. Au point d’en souffrir. 85% des parents d’enfants autistes divorcent ; comment résister malgré ces quotidiens sans répit qui se suivent et se ressemblent désespérément ?

 

Un livre qui questionne la place de l’autisme – et du handicap de manière générale – en France et qui met en avant le sentiment de culpabilité et d’impuissance que ressentent les parents quand, malgré les thérapies comportementales, les prises en charges médicales et paramédicales, leur enfant n’évolue pas.  Poignant.