Sa préférée, Sarah Jollien- Fardel (Sabine Wespieser éditeur, 08/2022)
Je referme
ce premier roman est la première réflexion qui me vient est celle de frissonner ;
oui, alors qu’il fait 30°C, car ce roman est glacial. Et ce n’est pas parce que
l’essentiel de l’intrigue se situe dans les Alpes valaisannes. C’est cette langue
âpre, ce malaise qui tourne autour de ce que raconte la narratrice, ce manque d’amour,
cette haine qu’elle voue à sa famille mais surtout à elle- même. C’est encore
ce silence des montagnards taiseux qui condamnent mais jamais ne tendent la
main. Une histoire qui fait froid dans le dos et serrer les dents.
« Derrière les mots, la haine, la misère, la honte. Et
la peur. Les mots étaient importants. Je devais les écouter tous. Et leur
intonation aussi. » Selon Annie Ernaux, « la
littérature n’est pas neutre » et les mots permettent de dire une réalité ;
celle du commun des mortels, celle de celui qui décide de se confier, ou de raconter.
Lorsque Jeanne, la narratrice, se rend compte de la puissance du mot, elle s’en
empare comme d’un bouclier. En décidant de devenir institutrice, c’est sa peau
qu’elle essaie de sauver.
« - Je sais que c'est mal. Mais j'étais sa préférée.
L'abject et l'obscénité m'étouffent. J'ai mal pour elle, je
le hais, lui. Plus encore. Et ma mère, muette, sourde et aveugle, la sainteté
dont je la parais et que je vénérais, ma famille plus miséreuse que ce que je
pensais. Je voudrais la consoler de sa peine. J'en suis incapable.
Sa préférée. » Emma, la
sœur aînée de Jeanne ne possède pas les mêmes capacités intellectuelles. Et c’est
comme si cette simplicité d’esprit justifiait qu’on la traite mal depuis l’enfance
et que cela continue à l’âge adulte. Un misérabilisme social qui se sert de la
naïveté pour excuser les déviances des hommes.
« Je ne me suis jamais habituée à la violence. Pire, ne
plus la subir me plonge dans un désespoir caverneux. C'est comme de l'huile
bouillante déversées sur mes blessures jamais cicatrisées. Durant des jours, je
suis mutique, hébétée, le moral ravagé. » Jeanne tente de se reconstruire ; mais comment oublier
toutes ces années, tous ces jours où la violence, souvent inouïe, éclate pour une
excuse futile, un objet posé de travers, un regard… Comment pardonner à ceux
qui savaient mais non jamais rien dit, jamais aidé ?
Au final, un premier roman rédigé avec un grand talent, des
mots et des formulent qui percutent, des passages qui laissent pantois. C’est
un récit dur, mais que je recommande vivement.