Arpenter la nuit, Leila Mottley (Albin Michel, 08/2022)
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Voilà un
premier roman étonnant ; grave mais poétique, dense tout en étant juvénile.
Leila Mottley situe son histoire dans les bas quartiers d’Oakland, où la jeune
Kiara cherche comment payer le loyer de l’appartement dans lequel elle vit avec
son frère Marcus, qui désespère de se faire connaître dans le milieu du rap. Les
parents ne sont plus là et Kiara se retrouve livrée à elle- même. Comme
beaucoup de jeunes filles noires, mineures, aucun travail ne se présente et la
pauvreté l’amène à la prostitution.
« Je le
suis mais je ne sais pas si c'est parce qu'il fait froid et que je me dis qu'il
va m'emmener loin du vent ou si c'est à cause de ces deux derniers jours et de
ces quelques verres. C'est peut- être ça qui me donne vaguement envie de ce
type, cette fièvre qui envahit toutes les parties de mon être censées avoir
assez de jugeotte pour faire demi- tour, trouver un bus ou une rue animée. »
Un soir de déprime, quelques verres de cocktail à la cerise, un regard insistant,
et Kiara avait cru trouver un peu de chaleur auprès d’un homme séduisant. Mais
le beau rêve devient cauchemar éthylique, teinté d’une agression sexuelle, pour
laquelle le type va ensuite s’excuser en laissant à Kiara deux cents dollars…
et une écharpe.
« J'ai
un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire
ce qu'il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et
tout son bleu. Je tangue, à moitié marchant, à moitié chancelant. Le long
d'International Boulevard. Sans musique et sans Tony. Rien que moi et de la
tequila plein l'estomac. » Personne ne veut employer Kiara ; mineure,
sans expérience, aucune chance. Alors quand les factures s’accumulent, que les
estomacs sont vides, et que l’on est une jeune femme vivant près de l’International
Boulevard d’Oakland, il y a une odieuse solution : vendre son corps. Sa
triste expérience de soir d’ivresse lui a appris qu’un corps peut n’être
utilisé que comme tel. Sans état d’âme. Sans remord. L’existence ayant perdu
toute morale.
« Aujourd'hui
c'est mon dix- huitième anniversaire, celui que j'attendais. J'autorise cette
journée à n'être rien que pour Trevor et moi, notre gâteau et les rediffusions
de "Sesame Street" à la télé. » Dans la
noirceur du quotidien de Kiara, il y a une éclaircie nommée Trevor. Ce petit
garçon de neuf ans, abandonné par une mère junkie est devenu la raison de vivre
de la jeune fille ; comme un prolongement de sa propre enfance et une
projection de sa vie d’adulte. Un
équilibre bien malmené…
Au final, un
roman qui se lit lentement, car il est nécessaire de prendre le temps de
digérer la lourdeur des diverses situations traversées par la jeune héroïne. J’avais
peur que le récit soit glauque mais ce n’est pas le cas ; peut- être grâce
à la jeunesse de l’auteure, mais probablement aussi du fait de sa une plume
onirique qui permet de prendre de la hauteur par rapport au malheur subi par cette
jeune femme vulnérable, livrée à elle—même dans un monde sans scrupule, ni
humanité. A lire.
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