vendredi 14 octobre 2022

Arpenter la nuit, Leila Mottley (Albin Michel, 08/2022)

 



Arpenter la nuit, Leila Mottley (Albin Michel, 08/2022)

💜💜💜💜

Voilà un premier roman étonnant ; grave mais poétique, dense tout en étant juvénile. Leila Mottley situe son histoire dans les bas quartiers d’Oakland, où la jeune Kiara cherche comment payer le loyer de l’appartement dans lequel elle vit avec son frère Marcus, qui désespère de se faire connaître dans le milieu du rap. Les parents ne sont plus là et Kiara se retrouve livrée à elle- même. Comme beaucoup de jeunes filles noires, mineures, aucun travail ne se présente et la pauvreté l’amène à la prostitution.   

 

« Je le suis mais je ne sais pas si c'est parce qu'il fait froid et que je me dis qu'il va m'emmener loin du vent ou si c'est à cause de ces deux derniers jours et de ces quelques verres. C'est peut- être ça qui me donne vaguement envie de ce type, cette fièvre qui envahit toutes les parties de mon être censées avoir assez de jugeotte pour faire demi- tour, trouver un bus ou une rue animée. » Un soir de déprime, quelques verres de cocktail à la cerise, un regard insistant, et Kiara avait cru trouver un peu de chaleur auprès d’un homme séduisant. Mais le beau rêve devient cauchemar éthylique, teinté d’une agression sexuelle, pour laquelle le type va ensuite s’excuser en laissant à Kiara deux cents dollars… et une écharpe.  

 

« J'ai un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire ce qu'il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et tout son bleu. Je tangue, à moitié marchant, à moitié chancelant. Le long d'International Boulevard. Sans musique et sans Tony. Rien que moi et de la tequila plein l'estomac. » Personne ne veut employer Kiara ; mineure, sans expérience, aucune chance. Alors quand les factures s’accumulent, que les estomacs sont vides, et que l’on est une jeune femme vivant près de l’International Boulevard d’Oakland, il y a une odieuse solution : vendre son corps. Sa triste expérience de soir d’ivresse lui a appris qu’un corps peut n’être utilisé que comme tel. Sans état d’âme. Sans remord. L’existence ayant perdu toute morale.

 

« Aujourd'hui c'est mon dix- huitième anniversaire, celui que j'attendais. J'autorise cette journée à n'être rien que pour Trevor et moi, notre gâteau et les rediffusions de "Sesame Street" à la télé. » Dans la noirceur du quotidien de Kiara, il y a une éclaircie nommée Trevor. Ce petit garçon de neuf ans, abandonné par une mère junkie est devenu la raison de vivre de la jeune fille ; comme un prolongement de sa propre enfance et une projection de sa vie d’adulte.  Un équilibre bien malmené…

 

Au final, un roman qui se lit lentement, car il est nécessaire de prendre le temps de digérer la lourdeur des diverses situations traversées par la jeune héroïne. J’avais peur que le récit soit glauque mais ce n’est pas le cas ; peut- être grâce à la jeunesse de l’auteure, mais probablement aussi du fait de sa une plume onirique qui permet de prendre de la hauteur par rapport au malheur subi par cette jeune femme vulnérable, livrée à elle—même dans un monde sans scrupule, ni humanité. A lire.   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.