Les enfants sont rois, Delphine de Vigan (Gallimard, 02/2021)
💓💓💓💓
« Les
enfants sont rois », c’est avant tout le portrait de deux femmes de nos
jours, deux femmes que tout oppose. La première, Mélanie, est la première fan
de Loana dans « Loft story », toute première émission de téléréalité
produite en France en 2001. Elle rêve de vivre la même expérience, mais
lorsqu’elle sera retenue sur un casting, elle ne fera malheureusement pas long
feu dans l’émission… Clara, elle, a contrario, est la fille d’enseignants
militants anti- téléréalité, devenue procédurière à la Crime du 36.
« Dorénavant
chacun existerait grâce à la multiplication exponentielle de ses propres
traces, sous forme d'images ou de commentaires, traces dont on ne tarderait pas
à découvrir qu'elles ne s'effaceraient pas. Accessibles à tous, Internet et les
réseaux sociaux prendraient bientôt le relais de la télévision et décupleraient
le champ des possibles. Se montrer dehors, dedans, sous toutes les coutures.
Vivre pour être vu, ou vivre par procuration. » Que de
progrès dans l’évolution des technologies liées à la communication, en peu d’année !
La télévision est entrée dans tous les foyers, mais nous sommes aussi entrés
dans les écrans par le biais d’émission de téléréalité puis de vidéos postées
sur les réseaux sociaux.
« - La
plupart des gens nous aiment. Ils nous le disent, nous l'écrivent, ils font des
centaines de kilomètres pour nous voir... C'est fou, tout cet amour qu'on
reçoit. Vous ne pouvez pas imaginer. Mais récemment, il y a eu des rumeurs, des
médisances, et maintenant certaines personnes nous en veulent. Nous veulent du
mal. » Mélanie entre à pieds joints dans ce nouveau spectacle grandeur nature
qu’est la vie par procuration. Inspirée par des Youtubeurs américains, elle
filme ses enfants matin, midi et soir et engendre très vite des millions d’euros
en signant des contrats publicitaires avec de grands groupes commerciaux. Mais
alors que sa petite Kimmy, 6 ans disparaît, l’heure d’une remise en question de
ses pratiques sonne…
« Ils
croyaient que Big Brother s'incarnerait en une puissance extérieure,
totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s'insurger. Mais Big
Brother n'avait pas eu besoin de s'imposer. Big Brother avait été accueilli les
bras ouverts et affamé de likes, et chacun avait accepté d'être son propre
bourreau. » Comment mener une enquête sur une
disparition alors que le monde entier possède les coordonnées d’une famille qui
se met à nue devant les écrans depuis des années ?
Au final, un roman vraiment très intéressant, qui aborde un sujet d’actualité qui pose déjà des problèmes depuis plusieurs années. Les droits des enfants, et les devoirs des parents, sont justement mis en question. On sent que la romancière s’est solidement documentée et elle maîtrise, comme toujours, l’art de dénoncer avec intelligence, sans crier, mais en poussant son lecteur à réfléchir.
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