Les armoires vides, Annie Ernaux (Folio, 1ère édition en 1974)
💗💗💗💗
Premier roman écrit et publié par notre récente Prix
Nobel de Littérature, et déjà, ce style âpre, ces phrases qui tournent et qui
se collent les unes aux autres, dans des idées inextricables et pourtant si
souvent évidentes dans leur ensemble. Autobiographique, on y apprend les
éléments de l’enfance de l’auteure, le rejet de son milieu social (qui
reviendra régulièrement dans les livres qui suivront) et son envie, urgente de
s’en extraire. Et déjà, son projet littéraire « d’écrire la vie » se
profile…
« Travailler un auteur du
programme peut- être, Victor Hugo ou Péguy. Quel écœurement. Il n'y a rien pour
moi là- dedans sur ma situation, pas un passage pour décrire ce que je sens
maintenant, m'aider à passer mes sales moments. Il y a bien des prières pour
toutes les occasions, les naissances, les mariages, l'agonie, on devrait
trouver des morceaux choisis sur tout, sur une fille de vingt ans qui est allée
chez la faiseuse d'anges, qui en sort, ce qu'elle en pense en marchant, en se
jetant sur son lit. Je lirais et je relirais. Les bouquins sont muets là-
dessus. » Le roman s’ouvre alors que la
narratrice sort de la chambre d’une faiseuse d’ange. Denise Lesur a vingt ans
et étudie la littérature pour devenir enseignante ; mais voilà que la
nature « poisseuse » la rattrape à sa condition de fille populaire :
elle est tombée enceinte comme la première venue appartenant à sa classe
sociale.
« Et puis toutes ces remarques,
ces ricanements, non, les choses de mon univers n'avaient pas cours à l'école.
Ni les retards, ni les envies, ni les mots ordinaires n'étaient permis. »
Pourtant ses parents, qu’elle méprisera très vite, ont tenté
de bien faire les choses ; tenant un café- épicerie, ils se sont privés
pour envoyer leur fille à l’école libre, ancêtre de nos établissements privés,
afin qu’elle soit suivie de près et qu’elle reste, à coups de confessions au
prêtre, au plus près du droit chemin. Mais pour la petite fille, vite
adolescente et rebelle, il est difficile de faire le lien entre les deux mondes
qu’elle fréquente ; les poivrots du café et les bourgeoises de l’école.
« Sartre, Kafka, Michel de
Saint- Pierre, Simone de Beauvoir, moi Denise Lesur, je suis de leur bord,
toutes leurs idées sont en moi, je croule sous l'abondance. Je m'inscris des
passages sur un petit carnet réservé, secret. Découvrir que je pense comme ses
écrivains, que je sens comme eux, et voir en même temps que les propos de mes
parents, c'est de la moralité de vendeuse à l'ardoise, des vieilles conneries
séchées. » Denise a la chance d’être une
excellente élève, ayant à la fois de très bonnes dispositions et une envie
féroce de réussir à intégrer un niveau social supérieur à celui de toute sa
famille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.