mercredi 4 janvier 2023

Les armoires vides, Annie Ernaux (Folio, 1ère édition en 1974)


 

Les armoires vides, Annie Ernaux (Folio, 1ère édition en 1974)

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Premier roman écrit et publié par notre récente Prix Nobel de Littérature, et déjà, ce style âpre, ces phrases qui tournent et qui se collent les unes aux autres, dans des idées inextricables et pourtant si souvent évidentes dans leur ensemble. Autobiographique, on y apprend les éléments de l’enfance de l’auteure, le rejet de son milieu social (qui reviendra régulièrement dans les livres qui suivront) et son envie, urgente de s’en extraire. Et déjà, son projet littéraire « d’écrire la vie » se profile…

« Travailler un auteur du programme peut- être, Victor Hugo ou Péguy. Quel écœurement. Il n'y a rien pour moi là- dedans sur ma situation, pas un passage pour décrire ce que je sens maintenant, m'aider à passer mes sales moments. Il y a bien des prières pour toutes les occasions, les naissances, les mariages, l'agonie, on devrait trouver des morceaux choisis sur tout, sur une fille de vingt ans qui est allée chez la faiseuse d'anges, qui en sort, ce qu'elle en pense en marchant, en se jetant sur son lit. Je lirais et je relirais. Les bouquins sont muets là- dessus. » Le roman s’ouvre alors que la narratrice sort de la chambre d’une faiseuse d’ange. Denise Lesur a vingt ans et étudie la littérature pour devenir enseignante ; mais voilà que la nature « poisseuse » la rattrape à sa condition de fille populaire : elle est tombée enceinte comme la première venue appartenant à sa classe sociale.

« Et puis toutes ces remarques, ces ricanements, non, les choses de mon univers n'avaient pas cours à l'école. Ni les retards, ni les envies, ni les mots ordinaires n'étaient permis. » Pourtant ses parents, qu’elle méprisera très vite, ont tenté de bien faire les choses ; tenant un café- épicerie, ils se sont privés pour envoyer leur fille à l’école libre, ancêtre de nos établissements privés, afin qu’elle soit suivie de près et qu’elle reste, à coups de confessions au prêtre, au plus près du droit chemin. Mais pour la petite fille, vite adolescente et rebelle, il est difficile de faire le lien entre les deux mondes qu’elle fréquente ; les poivrots du café et les bourgeoises de l’école.

« Sartre, Kafka, Michel de Saint- Pierre, Simone de Beauvoir, moi Denise Lesur, je suis de leur bord, toutes leurs idées sont en moi, je croule sous l'abondance. Je m'inscris des passages sur un petit carnet réservé, secret. Découvrir que je pense comme ses écrivains, que je sens comme eux, et voir en même temps que les propos de mes parents, c'est de la moralité de vendeuse à l'ardoise, des vieilles conneries séchées. » Denise a la chance d’être une excellente élève, ayant à la fois de très bonnes dispositions et une envie féroce de réussir à intégrer un niveau social supérieur à celui de toute sa famille.

Au final, un roman étouffant, dans lequel transpire un mépris parfois dérageant de la part de la narratrice envers ses parents, certes, peu éduqués, mais disposés à tout faire pour la réussite de leur fille. Le rythme de l’écriture est intense, presque sans respiration, ni chapitre et énormément métaphorique ; comme si l’auteure voulait aussi mettre de la distance avec ses lecteurs. Percutant et féministe, tout juste avant l’heure.

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