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J’ai débuté la lecture de ce premier roman avec un doute
immense : la prestation de la jeune auteure dans l’émission de La Grande
Librairie, sur France 5, m’avait séduite, mais je craignais ne pas apprécier du
tout le langage utilisé, celui des banlieues du XVIIIe. En effet, les phrases
de type de celles utilisées par les jeunes des quartiers sensibles ne sont pas
du genre à me rappeler de bonnes périodes de ma carrière d’enseignante : "Oh la
victime, il a une tête de chelou!", "Obligé, c'est un cassos de la
Ddass!", "Regarde ses pompes, abusé!", "La honte wallah…
Moldavie wesh, sa daronne fait la manche au marché de Barbès… Attention, cache
ton iPhone, ah c'bâtard, il va nous dépouiller…" Mais ici, l’utilisation
de ce type de langage est un passage obligé (et momentané) puisque l’auteure
laisse son petit héros maghrébin prendre la parole en tant que principal
narrateur de ce bout de vie, ce morceau d’une année, celle d’un gamin de treize
ans, né au Liban, atterri en banlieue parisienne du jour au lendemain, loin de
sa mémé adorée.
C’est là, qu’à ses heures perdues, depuis l’arrière des stores
de l’appartement familial qu’il joue l’observateur d’un microcosme polychrome
en constante mouvance (« Certaines familles […] préféraient voir leur
fils faire le jihadiste de pacotille au quartier plutôt que la victime au mitard »),
plutôt vers le bas, dans la crasse, le malheur et la violence, d’un petit coin
de la capitale française où l’imaginaire collectif se nourrit habituellement de
récits élaborés au cœur des quartiers bobos où tout va bien, tout est beau,
estampillé Vuitton, Chanel ou Dior et où tout rutile dans l’éblouissement de la
ville Lumière…
Abad, de haut de ses treize ans, lui, n’est pas dupe. Tout juste
adolescent, il nourrit une passion : il adore les « nichons » !
Toute fissure dans un mur est propice à des heures passées en espérant voir des
filles se déshabiller et à pratiquer la « bagnette ». Quelle chance
quand il a, pour un laps de temps, une « Femen » en guise de voisine !
Son obsession va mettre sur sa route Gervaise (comme dans Zola, oui…), jeune
Africaine mise sur le trottoir, parce qu’elle « avait grandi mal et
trop vite en passant des nattes et chaussettes blanches aux strings ficelle en
l'espace de quelques années », de rêves perdus en désillusions
douloureuses, elle n’en possède pas moins un cœur immense…
Deux autres figures féminines vont aider Abad à ouvrir les yeux ;
sa voisine, Odette, mamie fan de musique et de littérature, et Mme Futterman,
psychologue survivante de la Shoah. Au final, trois portraits de femmes aux
secrets lourds et à la vie partiellement brisée. Trois survivantes.
Et je pense que c’est grâce à ces trois personnages féminins que ce
roman est devenu pour moi, au fil des pages, un véritable coup de cœur. J’ai senti
mon émotion grandir au fur et à mesure des évènements qui se sont succédés dans
la vie de ce petit bonhomme, mais aussi dans celles des personnages corollaires.
Aucun n’est épargné. Et on se rend bien compte que même si nous sommes dans un
roman, ce texte colle tellement à la réalité de milliers de personnes vivant en
France actuellement qu’il ne peut laisser indifférent. Il me marquera pendant un moment, je pense.
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