dimanche 31 juillet 2022

Le bouquiniste Mendel, Stefan Zweig (1935)


 

Le bouquiniste Mendel, Stefan Zweig (1935)

💙💙💙💙💙

Vivre au milieu de ses bouquins ; et ne plus se préoccuper de rien. Si cela vous fait rêver, vous aussi, ne passez pas à côté de cette nouvelle de Stefan Zweig, l’une des plus lues de l’écrivain autrichien. C’est un récit court mais il contient toute la grâce de l’écriture de l’auteur. Et les idées qu’elle dégage sont plus que jamais d’actualité.

 

« Mais pourtant, oui, pourtant je m'étais déjà trouvé ici vingt ans plus tôt ou davantage, j'avais eu ici un vif sujet d'occupation et d’enthousiasme ; ici était fixée, dérobée à la vue comme un clou dans le bois, une part de moi-même, un moi depuis longtemps enseveli. Je tendis mes cinq sens et les projetai vigoureusement, dans cette pièce et en moi tout à la fois - et pourtant, bigre ! je n'arrivais pas à l'atteindre, ce souvenir disparu, noyé en moi- même. » Notre narrateur revient sur les lieux de ses études vingt ans plus tard. Alors qu’il entre dans un café pour se protéger de la pluie, les souvenirs affluent dans sa mémoire…

 

« Aussitôt, je sus, aussitôt, en un seul instant, chaud, comblé, secoué : mon Dieu, mais cette place était celle de Mendel, de Jakob Mendel, Mendel-aux-livres, et après vingt ans, j'étais revenu dans son quartier général, le café Gluck en haut de la rue Alser Strasse. » L’étincelle surgit : ce café était le refuge d’un lettré hors norme, un érudit qui ne levait jamais les yeux de ses livres et à qui il avait demandé des références bibliographiques.

 

« Derrière ce front sale et crayeux envahi d'une mousse grise, enfoncés comme à l'acier moulé, dans l'écriture spectrale, invisible, se trouvaient chaque nom et chaque titre ayant jamais été imprimés sur la page de titre d'un livre. » Mendel connait tout des livres publiés, mais ne sait pas lever son nez de ces fameux papiers. Mais le monde, lui, continue de tourner, et les hommes de se déchirer. La première guerre mondiale a été déclenchée ; Jakob Mendel, lui, est passé à côté.

 

Au final, une nouvelle qui m’a enchantée, ravie de retrouver l’écriture sensible et si finement intelligente de Stefan Zweig. « Il me vint aux lèves une amertume, un goût de passé : à quoi bon vivre, si déjà le vent soufflant dans nos pas emporte la moindre trace de nous ? » Cette phrase résonne tellement avec l’issue dramatique de cet auteur. Ne passez pas à côté.  

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